Le mouvement préraphaélite vu par les photographes de la seconde moitié du XIXe siècle

24 Avr

Il serait erroné et précipité d’employer un terme aussi net que « photographie préraphaélite ». Il n’existe en effet pas vraiment de courant préraphaélite dans la photographie. Il s’agit plutôt d’inspirations et d’échanges. On peut en effet remarquer que dès le milieu du XIXe siècle, des échanges s’opèrent entre la peinture et la photographie. Cette dernière n’étant pas considérée comme un art crédible, il a fallu trouver un moyen de la rendre légitime. Des photographes tels qu’Heinrich Kühn s’inspirent alors de la peinture et notamment du courant impressionniste pour retravailler leurs images et brouiller les frontières entre les deux arts. De leurs côté, les impressionnistes s’inspirent de la photo notamment pour renouveler les cadrages et adopter de nouveaux points de vue face au sujet représenté.
Ainsi, c’est parce que le développement des expérimentations photographiques est contemporain à la naissance du Préraphaélisme que l’on voit apparaître ces clichés imprégnés de l’esprit gracile de ce mouvement artistique.

La question que nous allons nous poser est simple.

Qu’est ce qui amène certains de ces photographes du milieu du XIXe siècle à puiser leur inspiration au sein du Préraphaélisme ?

C’est à l’âge de 48 ans que Julia Margaret Cameron débute sa carrière de photographe. Grâce à sa détermination, elle parvient très vite à se faire un nom et à entrer dans la prestigieuse société photographique de Londres. Elle est surtout connue pour ses très nombreux portraits de personnalités, qui sont souvent les seuls photographies existantes de peintres, historiens ou écrivains de son époque.
Outre leur valeur historique, ce sont aussi de fabuleux supports artistiques, puisque Julia Margaret Cameron s’attachait avant tout à capturer la personnalité des amis qu’elle photographiait au moyen de savants clairs-obscures (voir portrait de Julia Jackson) ou de contrastes entre zones nettes et floues.

Julia Margaret Cameron, Julia Jackson
Si Julia Margaret Cameron est surtout reconnue comme portraitiste, elle réalise aussi des « illustrations photographiques ». Elle s’inspire notamment du mouvement préraphaélite afin d’illustrer divers thèmes habituellement abordés par la peinture comme les mythes et légendes, les thèmes religieux, la poésie … Autant de sujets chers aux artistes tels que Millais ou Holman Hunt. Ses photographies accompagnaient des œuvres littéraires comme celles de son ami poète Alfred Tennyson.
Plus que de simplement s’inspirer de la peinture, le but de Julia Margaret Cameron est de réussir à produire des photographies qui ressemblent à des peintures à l’huile. Elle remonte à la source du préraphaélisme, elle cherche à photographier comme les membres du cercle préraphaélite cherchaient à peindre, de la manière la plus pure possible en s’inspirant des artistes primitifs Italiens.
Dans ses œuvres, on retrouve la grâce des poses alanguies et la finesse des traits du visage, les longues chevelures ondulantes, l’abondance de draperies et de riches tissus …
Il y a un grand soin apporté à la pose des personnages comme on peut le voir dans « Pomona ». Tout comme en peinture, du fait du temps de pose parfois très long, les modèles devaient poser longtemps, cependant Julia Margaret Cameron réussit à produire des clichés où les personnages communiquent tantôt de la force d’esprit, tantôt de la douceur et de la mélancolie.
Julia Margaret Cameron, Pomona
En effet, pour beaucoup d’artistes de cet époque, fidèles aux lectures de Dante, Shakespear ou Byron, l’introspection psychologique est un élément de motivation important. Qu’elles soient photographiques ou picturales, les œuvres cherchent à exprimer les sentiments de leurs personnages à travers leurs expressions et leur gestuelle.
John Parsons photographiera beaucoup Jane

Morris, qui sera aussi un des modèle récurant de Dante Gabriel Rossetti. Ces deux artistes réaliseront d’ailleur l’expérience d’une même image traitée selon leurs spécialités artistiques respective. Le tableau de Rossetti intitulé « rêveries » et la photographie de John Parsons cherchent tous les deux à représenter les états d’âme et la psychologie du personnage à travers son regard à la fois intense et perdu dans le vague. On retrouve le même soins apporté à la pose et au placement des mains, ainsi qu’au relief apporté par le tissu que l’on peut aussi observer dans d’autres photographies de Jane Morris comme  » Jane Morris assise sur un divan de trois quart ». Dans cette photographie, de part la profondeur et la brillance de ses plis, on reconnaît la robe de « the blue skill dress » de Rossetti. La complicité entre ces deux artistes illustre bien les échanges entre les deux arts.

Comme nous l’avion évoqué, les photographes comme les peintres portent le même intérêt à la littérature et à la poésie. Dans chacun de ces arts, on voit revenir les thèmes de l’amour, de la mort et de la nostalgie, avec l’envie de faire revivre l’époque médiévale tombée en désuétude et longtemps jugée comme un âge mort et obscure.
Lewis Caroll, le célèbre auteur d’Alice au pays des merveilles mettra en scène la petite « Alice Liddel « ,  héroïne de son roman, (qui posera plus tard pour Cameron, nous en avons un exemple ci-dessus avec « Pomona« ) dans plusieurs clichés inspirés de thèmes légendaires médiévaux comme saint George et le dragon. Cela lui permet de développer d’une autre manière un univers imaginaire. La photographie apparait alors comme un support artistique à part entière qui permet de s’évader.
Dans la photographie préraphaélite, les états d’âme sont mis en lumière dans des scènes souvent tragiques et éthérées. Le poème romantique d’Alfred Tennyson, « The lady of Shalott« , inspirera de nombreux peintres comme Waterhouse ou Edward Burne Jones, mais aussi des photographes comme. Henry Peach Robinson. Avec la série « fading away », il aborde le thème controversé de la mort qui fascine bon nombre des artistes de l’époque. Les clichés qu’il réalisera feront scandale. C’est en quelque sorte une façon d’aller encore plus loin dans la manière d’aborder ce genre de sujets délicats, puisque nous ne sommes plus en face d’un personnage peint et bien fictif. Il y a une barrière qui s’abolit, le personnage représenté est certe d’une certaine façon toujours fictif, mais il est aussi réel, puisqu’il a existé, il a posé. L’image est à la fois construite comme une peinture mais le choix de traiter le thème par la photographie résulte des préoccupations de cette époque romantique. Et c’est bien la littérature qui amène les artistes à réfléchir sur ces sujets.
On remarque cependant que Robinson traite de la mort avec beaucoup de délicatesse. Il réalise des compositions pures et simple, peut être pour encore mieux frapper le spectateur, mais peut être aussi pour montrer la mort de la façon la plus juste et vrai, malgré le fait que ses images soient construites.
Il est intéressent de remarquer qu’il emploi beaucoup de fonds peints et de décors dans lesquels il fait poser ses personnages, ce qui montre encore une fois la relation avec la peinture, toujours dans la volonté de faire poser pour obtenir l’image la plus parfaite possible. Il compose comme l’artiste compose sur sa toile, il place les éléments et réfléchis à leur signification, leur harmonie …

Henry Peach Robinson, Fading Away - She never told her love

On retrouve dans son travail l’envie partagée par les photographes et par les préraphaélites de rendre la nature dans ses moindres détails, avec une précision extrême.
Henry Peach Robinson s’attache à recréer l’ambiance des scènes de genre. même si il « fabrique » beaucoup ses photos à partir de décors peints, il lui arrive aussi de photographier dans la nature. « The Lady of Shalott » est un bon exemple de l’intérêt porté à la nature avec la végétation foisonnante mise en avant et qui rappelle « Ophélia » de Millais par exemple.
La précision du rendu des détails de cette nature augmente grâce à l’emploi du collodion humide. Ainsi, Roger Fenton photographie avec beaucoup de minutie la texture des rochers des montagnes, des torrents ou des feuillages. Il cherche à en capter leur beauté dans la plus grande exactitude.
En effet, la peinture est en quelque sorte l’interprétation d’un sujet par un artiste, la photographie quant à elle permet de rendre exactement ce qui est photographié. C’est un gage de vérité, concept recherché par les préraphaélites.

Comme nous l’avons évoqué au début de cet article, Les échanges entre la photographie et la peinture ne se limitent pas aux inspirations préraphaélites. Ainsi, à la fin du XIXe siècle apparait le « pictorialisme« , un mouvement photographique beaucoup plus expérimental, relié à l’impressionnisme et à l’école de Barbizon.
Le but est de faire de la photographie un art et d’explorer un nouveau support plus que pour poursuivre un univers ouvert par la peinture. C’est une manière d’appréhender et de rendre compte de façon encore plus précise les émotions et les états d’âme des personnages, de pénétrer au plus profond de leur psychologie en capturant leurs postures et leurs expressions. C’est aussi une manière d’aborder l’amour et la mort de façon plus brut, tout en restant artistique.
En s’inspirant des Préraphaélites, les photographes cherchent en fait surtout un moyen de faire vivre leur art, de lui donner un intérêt et une valeur artistique.

Pour aller plus loin :

La page de l’exposition « Une ballade d’amour et de mort : photographie préraphaélite en Grande Bretagne, 1848-1875 » qui a eu lieu au musée d’Orsay du 8 mars au 29 mai 2011

http://www.musee-orsay.fr/index.php?id=649&L=0&tx_ttnews[tt_news]=27129&no_cache=1

Coup d’oeil sur une exposition en l’honneur de Julia Margaret Cameron qui a eu lieu à la « National Portrait Gallery de Londres :

http://www.exporevue.com/magazine/fr/cameron_sr.html

Un site recensant quelques photos illustrant l’œuvre d’Henry Peach Robinson ainsi que sa biographie :

http://www.museumsyndicate.com/artist.php?artist=262

http://www.universalis.fr/encyclopedie/henry-peach-robinson/

« Lewis Caroll Photographe » au musée d’Orsay, une exposition qui a eu lieu du 2 mars au 6 juin 1999 ainsi qu’un site consacré à son œuvre de photographe.

http://www.musee-orsay.fr/fr/evenements/expositions/archives/presentation-generale/browse/18/article/lewis-carroll-photographe-6744.html?tx_ttnews[backPid]=252&cHash=5298acab51

http://www.lewiscarroll.net/Photo/photo.htm

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